Un très bel article de Marie-Pierre Demarty de Tikographie sur les forêts nourricières

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Comme on l’a découvert dans le premier volet de cette enquête, les initiatives collectives de créations de vergers se multiplient dans notre région. Reste à se demander pourquoi, et avec quel bénéfice. Tandis que d’autres creusent des trous pour planter des fruitiers, creusons le sujet.


C’est difficile de l’imaginer, mais au XIXe siècle, en dehors de la butte centrale, le territoire de la métropole clermontoise était recouvert de vergers et de vignes. Et plus largement, des Combrailles au Livradois en passant par la Limagne et jusque sur les terrasses – ou pailhats – des vallées du Sancy et du Cézallier, les poiriers, pommiers, abricotiers ou pruniers étaient cultivés en abondance. Puis on a abondamment arraché, urbanisé, oublié les techniques de greffe ou de taille, déserté les campagnes… et on s’est mis à acheter d’insipides pseudo-goldens au supermarché.

Depuis quelques années, il semble bien que la tendance s’inverse, même si de vieux vergers continuent à disparaître ici ou là, surtout là… où le foncier a de la valeur. Mais la plantation d’arbres fruitiers, la préservation de vieux arbres, la recherche de variétés locales à greffer sur des porte-greffe témoignent d’un engouement croissant du public, depuis le particulier disposant d’un bout de terrain jusqu’à des collectifs et même des municipalités.

10 000 arbres par an

Vice-président du Conservatoire d’espaces naturels (CEN) d’Auvergne, notamment responsable du , Christophe Gathier fait remonter cette vogue à quelques années : « Dans notre département, ça a commencé à bouger à partir de 2007, lorsque nous avons créé un réseau de pépiniéristes d’essences locales ; nous avons pu percevoir que cela correspondait à une attente. Mais les demandes de conseils et d’informations explosent depuis environ cinq ans, au point que nous ne sommes plus en mesure de suivre tous les projets. »

« Nous voyons de plus en plus de jeunes intéressés, alors qu’auparavant c’étaient surtout des retraités. »

Christophe Gathier

De fait, la dizaine de pépiniéristes du réseau, calcule-t-il, vend un total de 10 000 arbres par an dans le Puy-de-Dôme. « Même s’il y a des pertes, cela fait un développement considérable. Sans compter les arbres greffés, alors que les formations à la greffe se multiplient aussi. Ce qui est nouveau, c’est que nous voyons de plus en plus de jeunes intéressés, alors qu’auparavant c’étaient surtout des retraités. »

On plante ; on greffe. Ailleurs, d’autres collectifs se soucient de redonner vie à des vergers à l’abandon ou dont les propriétaires ne peuvent plus s’occuper, comme l’association , ou le collectif qui,  dans l’Artense, a entrepris de prendre soin d’un ancien verger conservatoire.

Sarah Communal, cheffe de projet pour le  (BEC) du Conseil départemental, ne s’étonne pas d’avoir vu arriver une quinzaine de projets de ce type parmi les 77 lauréats de 2022 – assurément la catégorie la plus nombreuse : « Lors de la première édition, c’était ceux qui avaient remporté le plus de voix, ce qui prouve que ces projets parlent au public. Et d’une édition à l’autre, il y a eu du bouche à oreille, un effet de réseau : les premiers ont inspiré des communes voisines, d’autant plus naturellement que c’est assez facile de se projeter dans la création d’un verger : il y a un lieu sur lequel on peut facilement avoir la vision de ce qu’on veut y mettre. »

A chacun son approche

Ces groupes de citoyens montent des projets qui, s’ils ont l’arbre fruitier en commun, sont assez divers. Comme on l’a vu dans le premier volet de notre enquête, nombre d’entre eux ont en tête, plus qu’un simple verger, d’expérimenter des techniques de permaculture ou d’agroforesterie, avec plusieurs « étages » de plantations dont l’arbre fruitier constitue la partie la plus haute, canopée de la forêt-jardin. D’autres insistent davantage sur l’envie de faire revivre des variétés anciennes et locales dans des prés-vergers.

« Mais il ne faut pas opposer les deux modèles ; cela dépend de la disponibilité, de la surface dont on dispose, de la motivation… », souligne Christophe Gathier, qui nuance cependant la notion de « verger conservatoire » que certains projets s’arrogent, et préfère les nommer « vergers de collection ». « Un verger conservatoire suppose une homogénéité du terrain, du sol, des porte-greffe et la capacité de faire des suivis de manière stricte. Il n’en existe que deux dans le département, que nous gérons : celui de Tours-sur-Meymont et, pour les abricotiers et les amandiers, . »

Autre différence d’approche : certains se concentrent sur une seule parcelle, à valeur avant tout expérimentale et pédagogique, comme les exemples que nous avons rencontrés à La Cartade ou à Saint-Genès-Champanelle.

Mais à Aubiat, la plantation en cours est un premier pas que l’association espère prolonger, en complicité avec la municipalité, sur d’autres terrains communaux qui s’y prêtent. De même, un  du BEC 2022 envisage, avec encore plus d’ambition, de planter « 500 arbres fruitiers dans les communes du sud des Combrailles », après une phase de recherches historiques pour mieux connaître les pratiques anciennes, les variétés, les communes et lieux les plus pertinents…

De la complexité des motivations

Ce qui motive ces initiatives ? Des intentions finalement très diverses, mais qui peuvent se cumuler. Elles croisent des envies collectives et des cheminements individuels.

Quand Nurten Caglar, fondatrice et présidente du Jardin-Forêt du Brin de Paille, raconte le sien, elle n’en parle pas à la première personne car elle a rencontré assez de personnes partageant ce parcours pour estimer qu’il est généralisable : « On commence par s’essayer au potager, mais c’est beaucoup plus complexe qu’on l’imagine ; alors c’est un constat d’échec et on prend conscience qu’on est incapable de produire sa nourriture. On commence à chercher d’autres approches. Il y a cette légende urbaine qui dit que la permaculture permet de cultiver sans faire d’efforts, mais on se rend vite compte que c’est illusoire. L’étape d’après, c’est se demander ce que je peux manger sans apprentissage sur la façon de le produire. On se tourne alors vers les plantes sauvages, les cultures anciennes, les pratiques traditionnelles… On finit par conclure qu’agir seul n’est pas suffisant. Le mot-clef d’un tel projet, c’est ‘fédérer’. »

« On finit par conclure qu’agir seul n’est pas suffisant. Le mot-clef d’un tel projet, c’est ‘fédérer’. »

Nurten Caglar

« La motivation des participants est d’abord d’être dans l’action collective, de construire des projets ensemble », complète Emmanuel Bouhier, qui pilote le projet à Aubiat-Persignat, tout en relevant que l’association a d’autres objectifs : « Il s’agit à la fois de replanter des arbres dans cette Limagne qui en a bien besoin et de favoriser la biodiversité, de sensibiliser à une alimentation saine et locale, de contribuer à la conservation des essences locales. »

Christophe Gathier énumère ce qu’il perçoit plus généralement dans les collectifs qu’il accompagne : « Le déclencheur, ce sont tous les problèmes de société que l’on connaît aujourd’hui : le réchauffement climatique, le besoin de mieux manger, celui d’être acteur dans ces questions de mode de vie, ou de mieux connaître le végétal. »

Loïc Frénéa, président de l’association de La Cartade, résume : « Il y a incontestablement un effet de mode, mais c’est aussi parce que les idées de culture respectueuse de l’environnement font leur chemin. Nous apprenons les principes des équilibres créés par la nature et ils deviennent d’autant plus intéressants s’ils sont nourriciers. » Et d’énumérer les valeurs fondatrices du projet : « Faire un endroit favorable à la biodiversité, créer un collectif très ouvert pour accueillir de nouvelles personnes, favoriser l’autonomie et le réapprentissage des savoir-faire. »

« Planter des arbres peut quasiment avoir un effet thérapeutique ! »

Sarah Communal

Quant à Sarah Communal, elle voit même dans cet engouement quelque chose de « viscéral, lié à notre ADN », qui nous relie à l’histoire locale et à son patrimoine agricole très marqué par les fruitiers. « Le confinement a dû avoir un effet sur les gens qui les a ramenés à cette histoire : une envie de préserver, d’avoir la main sur ce qui touche à la fois au patrimoine et à l’alimentation, peut-être même un besoin de réagir face au ressenti de l’inaction climatique. Planter des arbres peut quasiment avoir un effet thérapeutique ! »

Les paysages changent

A l’échelle des individus et même de ces petits collectifs, les bénéfices semblent donc nombreux et puissants. Mais peut-on concevoir que la multiplication de ces initiatives peut avoir des impacts plus importants ? Christophe Gathier le ressent à plusieurs niveaux : « Cela peut faire pression sur les élus : face à ces initiatives citoyennes, les collectivités se sentent obligées de prendre en compte le végétal. Elles commencent souvent par la question des déchets, en déployant des dispositifs de compost, puis en viennent à la végétalisation des espaces urbains. Elles peuvent aussi jouer un rôle dans le déploiement de vergers, en tant que propriétaires fonciers. »

Il note au passage, comme Emmanuel Bouhier, que les campagnes, autant que les villes, ont besoin d’être végétalisées et que ces projets peuvent y contribuer. Et il poursuit : « Quel que soit le projet, l’idée avec un verger est de s’inscrire dans la durée et d’associer la population largement autour du fruit : les écoles, le troisième âge, les personnes qui n’ont pas de jardin… Et ces créations de vergers qui se font un peu partout marquent le paysage, alors que pendant au moins trente ans on n’avait quasiment plus de plantations. »

Cela reste quand même à l’échelle de petits projets qui ne répondent pas encore, selon lui, à une nécessité forte de ceinture maraîchère et fruitière relevant d’une volonté politique ; mais ils vont dans le bon sens.

« Il faut être conscient que ce n’est pas facile, mais il faut essayer. »

Christophe Gathier

Autre avantage : certains de ces projets sont associés au travail du CEN lié aux deux vergers conservatoires. « Nos vergers ont pour règle d’avoir au minimum deux arbres de chaque variété, mais c’est bien de disposer dans d’autres vergers d’autres arbres en complément, sachant qu’on intervient sur environ 350 variétés locales. »

Pour quatre de ces initiatives, une action a même pu être prévue en amont du projet de plantation : en association avec les spécialistes du CEN, par exemple à  et à  : il s’agit d’opérer un inventaire participatif où les habitants sont amenés, sur un événement en septembre, à apporter des pommes des vieux vergers, afin d’identifier celles qui étaient cultivées localement et d’être le plus juste possible par rapport au terroir dans les nouvelles plantations.

Autant d’exemples, de motivations et de bonnes raisons qui incitent à suivre le mouvement et à se lancer, individuellement, collectivement ou même dans le cadre institutionnel d’une collectivité. Christophe Gathier donne ce dernier conseil : « Il faut être conscient que ce n’est pas facile et que cela représente du travail sur le long terme, mais on peut se faire accompagner et conseiller, se former et… il faut essayer, même en commençant petit avec quelques arbres. C’est toujours une satisfaction de travailler la terre et le végétal. »