Tikographie, Reportage sur le festival les Monts qui pétillent ou comment trouver des solutions pour se déplacer en milieu rural ?!

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Dans le Forez, l’association Les Monts qui pétillent a fait de la mobilité un sujet prioritaire pour freiner l’isolement et la désertification. Un projet qui roule…

Autant en ville ou sur les trajets fréquentés, on peut imaginer des tas de solutions de transport en commun et de mobilités dites douces, autant c’est un vrai casse-tête de trouver des alternatives à la voiture individuelle dans les campagnes. De nombreuses collectivités s’y essaient. Dans le Forez, au-dessus de Thiers, l’association Les Monts qui pétillent a décidé de prendre la problématique à bras-le-corps. Pas simple, mais elle s’en donne les moyens, le temps et la volonté.

Le territoire concerné – centré sur le bourg de Noirétable, en gros entre Saint-Rémy-sur-Durolle, Aubusson-d’Auvergne et Saint-Didier-sur-Rochefort, soit 14 000 habitants – présente la particularité de se trouver à cheval sur deux départements et deux communautés de communes. Et d’avoir perdu son unique ligne de train, qui jusqu’en 2016 irriguait les montagnes, desservant huit gares entre Thiers et Boën avant de continuer vers Saint-Etienne.

Mobilité : la gare de NoirétableLa ligne de train est suspendue depuis 2016 entre Thiers et Boën. – Photo Marie-Pierre Demarty

Solutions au compte-gouttes

Alternatives ? Quelques autocars régionaux sur le même itinéraire. La possibilité côté Loire d’emprunter, s’ils ne sont pas pleins, les bus scolaires qui passent trois ou quatre fois par jour. Côté Puy-de-Dôme, un service de transport à la demande proposé par la communauté de communes, mais qui vivote, peut-être par manque de visibilité.

Si vous avez la chance d’avoir une voiture, vous pouvez à loisir déverser votre CO2 sur ces petites routes de campagne. Mais si vous manquez de moyens, si vous êtes trop âgé ou trop jeune pour conduire ou souffrez d’un handicap, si vous n’aimez pas polluer, ça devient compliqué. D’autant que la plupart des services – médicaux, administratifs, culturels ou même les commerces – se raréfient aussi, nécessitant des trajets de plus en plus longs pour en bénéficier.

Mobilité dans les campagnesQuelles solutions pour la mobilité en milieu rural ? Au festival en mai dernier, on a pu tester des véhicules inhabituels, comme ce quadbike présenté par l’association In’VD. – Photo Marie-Pierre Demarty

Voilà pour le tableau de départ, bien propice à accélérer la désertification. L’association, qui travaille beaucoup lors de ses rendez-vous collectifs et festifs sur les rêves et les imaginaires, l’a très vite identifié comme une problématique majeure. « Dès qu’on n’impose pas de thème aux réunions participatives, la question revient », constate Violette Auberger.

Un sujet prioritaire

Violette a été la première embauchée de l’association Les Monts qui pétillent pour travailler sur cette question de la mobilité. Elle coordonne les projets, développe les partenariats, recherche des financements… (Et accessoirement, répond aux questions de la journaliste !) Grâce à un financement de l’Agence nationale de la Cohésion des territoires (ANCT), ils sont aujourd’hui trois – avec Noémie et Florian – à se consacrer aux questions de mobilité, sur un total de quatre salariés. Sans compter l’apport du dynamique conseil d’administration et des bénévoles. C’est dire si le sujet est considéré comme prioritaire.

« Dès qu’on n’impose pas de thème aux réunions participatives, la question [de la mobilité] revient. »

Violette

En 2021, le deuxième festival de l’association lui était entièrement consacré. Avec des moments festifs (car il faut que ça pétille), des recueils de rêves (une tradition bien ancrée dans l’association), mais aussi un temps plus sérieux pour construire le projet : habitants, collectivités et autres acteurs du territoire ont été amenés à y réfléchir ensemble.

Rêves des habitantsTrois artistes thiernois – Matteo Magnant, Sébastien Quentin et Sarah Laaroussi – ont traduit en images et en récits les rêves des habitants, pour une étrange « archéologie du futur ». La mobilité y a toute sa place ! – Photo Marie-Pierre Demarty

« Nous attachons beaucoup d’importance à une gouvernance partagée avec les acteurs du territoire, explique Violette. Il est nécessaire de coordonner les initiatives, de ne pas se faire de concurrence, d’apprendre les uns des autres. Par exemple, le fait de travailler sur deux communautés de communes appartenant à deux départements différents permet de comparer les pratiques, de s’inspirer mutuellement et de faire avancer les choses des deux côtés. » L’intention est aussi de s’associer pour permettre à la mayonnaise des bonnes idées de prendre. Comme le relève Violette, « beaucoup trop d’initiatives capotent du fait que les collectivités n’associent pas les habitants à leur construction, ou à l’inverse, quand les associations n’embarquent pas les collectivités. »

Lire aussi : « Comment les Monts qui Pétillent travaillent sur la mobilité et le lien social dans la montagne thiernoise »

Premières initiatives

De ce festival 2021 ont émergé beaucoup de besoins et beaucoup d’idées, qui sont développées peu à peu, et infusent aussi les différents rendez-vous, comme le dernier festival, pourtant plus « généraliste », qui avait lieu le week-end des 13 et 14 mai. Entre grain de folie et animations plus sérieuses, entre ateliers, animations et démonstrations, il y a été question de covoiturage et de véhicules intermédiaires, de création de remorque, de randonnée à pied ou à vélos électriques…

cartographie de la mobilitéLors du festival, l’association Covoiturage Auvergne a entrepris de cartographier les déplacements les plus fréquents des personnes, en vue de repérer des trajets à mutualiser. – Photo Marie-Pierre Demarty

Entretemps, certains dossiers avaient déjà bien avancé. Dont le plus urgent : celui des personnes qui n’ont aucun moyen de se déplacer, y compris pour des rendez-vous médicaux. Toujours en quête de partenariats, Les Monts qui pétillent ont passé une convention avec l’association nationale de retraités bénévoles Agir ABCD, pour développer sur le territoire l’outil informatique développé par cette dernière. « Il s’agit de mettre en relation des personnes qui n’ont pas de véhicule et ne sont pas imposables avec des chauffeurs bénévoles. C’est une sorte de transport à la demande. Les chauffeurs, souvent des retraités, qui sont plus disponibles, peuvent être indemnisés. Avec une quarantaine d’inscrits et une dizaine de chauffeurs, le service marche très fort, même si nous devons trouver davantage de bénévoles. 75% des trajets concernent des rendez-vous médicaux. Mais nous veillons à ne pas empiéter sur les dispositifs existants, sur les trajets qui peuvent être pris en charge, sur le travail des professionnels », détaille Violette.

Bidule et autres véhicules

D’autres initiatives sont plus ponctuelles mais permettent de sensibiliser les habitants à des possibles changements de comportement. Par exemple lors du festival musical « Au village sans prétention » à Saint-Didier-sur-Rochefort, l’association a proposé une réflexion sur les déplacements entre les différents sites de l’événement. « L’idée était qu’on puisse tout faire à pied, et nous nous sommes chargés de repérer et de baliser les itinéraires. »

« L’idée était qu’on puisse tout faire à pied. »

Violette

Ce ne sont que les prémisses, mais beaucoup d’idées sont sur la rampe de lancement ou attendent leur tour, à des stades plus ou moins avancés. Violette cite : création d’une communauté de covoiturage, travail avec les entreprises du territoire sur les déplacements de leurs salariés, ouverture d’un espace d’accueil à Noirétable (dont l’office de tourisme a été fermé), où l’on pourrait renseigner les touristes sur les itinéraires possibles en mobilité douce et même mettre des vélos à disposition. « Le service pourrait aussi profiter aux habitants », indique Violette.

le biduleLe « bidule », un prototype de véhicule intermédiaire spécialement conçu pour l’association In’VD… mais pas encore homologué. – Photo Marie-Pierre Demarty

Les Monts qui pétillent aimeraient aussi se rapprocher de l’association Innovation Véhicules Doux (In’VD), née dans l’Aveyron, qui promeut et teste des véhicules intermédiaires, dans des contextes ruraux similaires aux problématiques du Forez. Un partenariat (encore un !) permettrait de développer un imaginaire et des modes de déplacement adaptés aux lieux, aux usages, à la nécessaire réduction des émissions de CO2

« Le projet vient du constat qu’entre la voiture trop énergivore et le vélo qui ne convient pas à tous les usages, il n’y a rien. »

Pierre-Yves

En attendant, In’VD animait un stand très remarqué lors du dernier festival, avec différents modèles de vélos électriques et de véhicules aussi étonnants que fonctionnels, comme ce prototype de « bidule » à deux places élaboré en partenariat entre usagers et constructeur.

Les expérimentations d’In’VD (cliquer sur le bandeau noir)

Apparition festive

Autre piste intéressante : la « démobilité ». Un nom barbare pour signifier que l’on va éviter aux habitants de se déplacer, en leur proposant davantage de services à proximité ou en leur permettant d’interagir à distance. Par exemple, en créant des tiers-lieux dans les villages – ce dont rêve l’association. Mais aussi avec un projet déjà plus tangible, puisqu’il doit voir le jour dès cette année grâce au budget écologique citoyen du Conseil départemental.

« L’idée est de s’outiller d’un truc amusant […] pour créer une apparition festive et poétique à la manière d’un cirque, et pour créer de la convivialité. »

Florian

Il s’agit de la remorque Dyna’Mob, projet dont Florian est le principal animateur : « L’idée est de s’outiller d’un truc amusant et sans trop de contraintes techniques, qui pourrait être amené dans les villages pour des événements, pour créer une apparition festive et poétique à la manière d’un cirque, et pour créer de la convivialité. Elle pourrait servir aussi pour des ateliers, apporter des outils de réparation de vélo par exemple ou d’autres services », explique cet architecte de formation qui met beaucoup d’enthousiasme à imaginer la manière de faire émerger le projet.

Mobilité et démobilité : le stand de collageUn atelier collage pour associer les habitants à imaginer la future remorque Dyna’mob appelée à se déplacer dans les villages. – Photo Marie-Pierre Demarty

Par exemple, pour le premier moment d’idéation autour du projet lors du festival de mai, il proposait aux habitants un atelier collage. « Il s’agit de les faire réfléchir aussi bien aux usages qu’à l’esthétique de la remorque, à ses dimensions, aux matériaux… Nous voulons créer un vrai projet commun, y compris en mobilisant les savoir-faire locaux pour la construire. »

Les idées vont donc continuer à pétiller. Parmi les expérimentations envisagées – mais encore à l’état de rêve plus lointain – Violette cite encore l’idée d’une navette autonome, ou l’usage qui pourrait être fait des rails à l’abandon. Et dans les projets auxquels elle s’attèle dès cet automne : celui de réunir un colloque, un voyage apprenant ou autre événement de ce type, ouvert comme toujours aux habitants, aux collectivités, aux associations et autres acteurs, mais aussi à d’autres territoires et à des chercheurs. « Parce que c’est intéressant de s’imprégner des connaissances de la recherche, et inspirant d’aller voir des choses qui se passent bien ailleurs. »

Voir le site de l’association Les Monts qui pétillent

Reportage réalisé samedi 13 mai 2023. Photo de Une Marie-Pierre Demarty : au départ de la balade pour tester les vélos à assistance électrique, le premier jour du festival.