Tikographie, Reportage sur la ressourcerie d’Issoire

B-9-picto

A la Ressourcerie du Pays d’Issoire, la sensibilisation et la solidarité comptent encore plus que le traitement de la montagne d’objets qui s’y accumulent. Visite guidée avec son directeur.


« Ce qui choque, c’est le volume », dit Guillaume Benoît. Fondateur avec son épouse Louise de la Ressourcerie du Pays d’Issoire, il souligne ainsi la raison d’être de ce qui, en sept ans, est devenu une institution. « Quand on considère seulement ses propres déchets domestiques, on peut être désolé de jeter autant. Mais quand on voit passer tout ce que les gens nous apportent, on peut prendre réellement la mesure de l’impact. Nous y sommes habitués mais c’est un travail ingrat : dès qu’on prend un peu de hauteur pour y réfléchir, ça devient désespérant », explique-t-il.

De fait, arrivent chaque mois dans les hangars de l’association 20 tonnes de rebuts. Au total sur l’année 2022 : 248 tonnes. De tout ce qu’on ne veut plus. Ce qui est une catégorie très vaste, avec du beau – meubles, vaisselles, vêtements… – et du bien moins beau, sous forme de gadgets en plastique, cadeaux publicitaires, objets de mauvaise qualité qui ne servent pas longtemps avant de se détériorer…

L’emploi au cœur du projet

Comme dans d’autres ressourceries, Guillaume constate : « Les dons baissent en quantité et en qualité. Avec l’augmentation du coût de la vie, les gens préfèrent garder les objets plus longtemps ou les vendre. Ils ne donnent que ce qui est invendable ou dont ils n’ont pas tiré le prix espéré. Nous sommes en bout de chaîne de la société de consommation. »

« Avec l’augmentation du coût de la vie, les gens préfèrent garder les objets plus longtemps ou les vendre. »

Une catégorie, cependant, est encore peu présente : celle des appareils ou mobiliers des entreprises et administrations, qui ont peu le réflexe de donner ce dont elles se débarrassent, souvent encore en bon état. Ni de s’approvisionner en seconde main. « Elles achètent régulièrement des tas de classeurs neufs et autres fournitures, alors que nous avons tout ce qu’il faut à moindre prix. Nous essayons de les sensibiliser mais cela vient lentement, à part quelques pionniers. Par exemple le parc animalier d’Ardes-sur-Couze a commencé par nous acheter des décorations de Noël, puis est revenu pour du mobilier. »

Le camion de la ressourcerieLa camionnette permet d’aller récupérer des objets chez les particuliers, de débarrasser des maisons, d’aller collecter en déchetterie… – Photo Marie-Pierre Demarty

Accueillir les dons, collecter les meubles et objets chez les particuliers, débarrasser des maisons, récupérer du matériel en déchetterie n’est qu’une partie de l’activité de cette ruche qui « bourdonne » des allées et venues de 18 salariés, auxquels se joignent dix personnes en insertion grâce à un partenariat avec Agglo Pays d’Issoire qui les emploie et les met à disposition de la ressourcerie. Comptez encore 10 à 90 bénévoles (selon les jours et les besoins), ainsi que des services civiques, stagiaires, jeunes envoyés en petits chantiers par la Mission locale ou en travail d’intérêt général par l’administration judiciaire… « Notre but est aussi de créer de l’emploi », souligne Guillaume, fier d’avoir créé autant d’activité après avoir « commencé à quatre ».

Voir le reportage photo : « La crise de croissance de JeRecycle Parc, seule ressourcerie clermontoise »

Revente, recyclerie… et incinération

Comment ? Il y a d’abord tout ce qui peut être revendu, après un gros travail de tri et si besoin, de nettoyage, de réparation, de ré-assemblage, de customisation… La vente représente une bonne moitié des dons. Avec l’idée de vendre autant que possible à petits prix pour « être accessible à tous ».

La boutiqueCôté boutique, les mêmes monceaux d’objets, mais propres, réparés, bien présentés… – Photo Marie-Pierre Demarty

La boutique de la ressourcerie s’est doublée l’an dernier d’une deuxième boutique en centre-ville. Et d’autres canaux de vente ont vu le jour en 2020 : une boutique en ligne d’une part, qui sélectionne les objets les plus rares ou originaux, susceptibles d’intéresser des collectionneurs hors de la zone de chalandise de la ressourcerie.

L’autre initiative est plus originale : pour aller à la rencontre d’un public dispersé dans les campagnes aux alentours d’Issoire, l’idée a germé d’embarquer la ressourcerie dans une camionnette. « Il s’agit d’amplifier notre action, de faire connaître la ressourcerie et de permettre à des personnes ayant des difficultés de mobilité d’accéder à nos services, explique Guillaume Benoît. Cela fonctionne bien et nous a permis de créer un emploi. »

Concrètement, la ressourcerie itinérante effectue environ une sortie par semaine, surtout pour de la vente, mais aussi un peu de collecte, de la sensibilisation, voire un petit atelier de réparation. L’idée est de s’adosser à des événements existants : marchés réguliers, festivals et autres manifestations.

un beau tableauTout est récupéré ici, même les objets les plus insolites comme cette étonnante représentation du puy de Dôme ! – Photo Marie-Pierre Demarty

Reste que tout n’est pas vendable ou réparable. Et si de la faïence cassée ou des vêtements déchirés peuvent être utilisés dans des ateliers de mosaïque ou de couture, environ 40% des arrivages est dirigé vers des filières de recyclage, et 10% est expédié au Valtom pour être incinéré.

Il faudrait aussi parler des dons de la ressourcerie : mobilier pour des logements de la CAF, matériels pour des associations, tombolas…

L’ADN de la sensibilisation

Si le traitement de tout ce qui est apporté vers l’impasse Latécoère constitue une bonne part de l’activité, ce n’est pas la seule. La sensibilisation est inscrite dans l’ADN de l’association qui, comme toute initiative, a son histoire fondatrice.

« Nous avons créé la ressourcerie dans une démarche citoyenne, parce que nous étions indignés de voir tout ce qui était jeté en déchetterie. Nous avions des emplois qui avaient du sens mais nous faisaient passer nos journées face à un ordinateur. Nous sommes passés aussi par l’éducation populaire et par du bénévolat à Emmaüs. En 2015, nous avons pris une année sabbatique pour visiter des projets autour de la thématique des déchets, en France et à l’étranger. A partir de là, nous avons recherché l’endroit favorable pour monter le projet », raconte Guillaume, qui a trouvé le lieu à Issoire : un bassin de population suffisant, des élus plutôt favorables, une opportunité…

Guillaume BenoîtGuillaume Benoît, fondateur : « Nous avons créé la ressourcerie dans une démarche citoyenne, indignés de voir tout ce qui était jeté en déchetterie. » – Photo Marie-Pierre Demarty

D’où l’orientation du projet. « L’objet est un prétexte. Le sens que nous y mettons, c’est de pouvoir faire prendre conscience des aberrations de ces déchets, mais aussi, plus largement, de sensibiliser aux problèmes de dérèglement climatique et environnemental, à la transition… », souligne-t-il. Et s’il est heureux de pouvoir donner une seconde vie à beaucoup de choses qui partaient auparavant à l’incinération, la cohérence est dans l’incitation aux changements d’habitude.

Lire l’entretien : Emmanuelle Pannetier travaille sur l’économie circulaire car « c’est au niveau territorial qu’on aura le moins d’impact »

Ce qui explique différentes activités développées par la structure, sans lien direct avec l’activité principale… en apparence.

« L’objet est un prétexte. Le sens que nous y mettons, c’est de pouvoir faire prendre conscience des aberrations de ces déchets, mais aussi, plus largement, de sensibiliser. »

Par exemple, trois salariés ont pour fonction d’aller dans les écoles, les entreprises ou diverses manifestations pour travailler à la prise de conscience et aux bons gestes pour éviter le gaspillage. Cela passe par des visites de la ressourcerie, des travaux manuels avec les petits, des débats sur l’utilisation des appareils connectés avec les ados, des fresques du climat avec des adultes, des ateliers participatifs, etc.

Toutes les solidarités possibles

Autre exemple : l’association, forte de, son expérience de montage de projet, a contribué à l’étude de faisabilité d’un restaurant solidaire à Issoire. « Cela nous semblait cohérent sur la thématique de la lutte contre le gaspillage alimentaire, en plus de l’envie de solidarité avec les initiatives, qui nous anime toujours. » Des ateliers cuisine au CADA (centre d’accueil pour demandeurs d’asile), l’accompagnement de projets jardins dans des écoles avec un suivi de la réduction des déchets de cantine, ou un compost démonstrateur dans la cour de la ressourcerie participent de cette logique.

Il y a aussi tout le réseau tissé avec d’autres associations locales. Les vélos récupérés sont transmis à Job’Chantiers, qui avait déjà une activité de réparation – inutile de faire doublon. La cour de la ressourcerie accueille les caravanes vintage en cours de rénovation d’une autre association, Caranov’.

Vélos à la ressourcerieLes vélos sont mis de côté pour une association partenaire. – Photo Marie-Pierre Demarty

Et des manifestations sont organisées avec des partenaires dès que l’occasion se présente, comme les trois micro-festivals, coconstruits avec une douzaine d’associations, qui se sont montés l’an dernier à Saurier, à Egliseneuve-des-Liards et à Chadeleuf grâce à une opportunité de financement. « L’idée était de présenter les événements par leur côté festif, avec des concerts, un marché, des jeux… mais d’amener les visiteurs à une sensibilisation aux questions écologiques sur les stands ou les ateliers », précise Guillaume.

Dans le même esprit de partenariat, la ressourcerie coordonne chaque année le « Festival des solidarités » qui se déroule sur la deuxième quinzaine de novembre.

« Nous avons toujours besoin de plus de place. »

Extension

Tandis qu’il me fait visiter les hangars de tri et de réparation remplis d’un amoncellement d’objets répartis par catégories, puis la boutique – ce jour-là fermée – présentant les mêmes babioles mais propres, bien alignées et mises en valeur sur leurs présentoirs, un chantier se remet en route dans les bâtiments situés à l’arrière. La ressourcerie accueille quelques jeunes de la Mission locale, qui vont poursuivre les travaux ; l’association a en effet saisi l’opportunité de la fermeture d’un laser game en faillite. Ce bâtiment accueillera une boutique plus spacieuse… dès que l’ambiance « Star Wars » des décors aura été repensée.

laser gameLa ressourcerie a récupéré les anciens locaux du laser game voisin, qui va être transformé en une boutique plus spacieuse. – Photo Marie-Pierre Demarty

« Nous avons toujours besoin de plus de place », constate le directeur, presque désolé de l’utilité manifeste de son initiative. « Bien sûr, nous avons besoin de vendre des objets, mais ce serait préférable qu’il y en ait moins et que les gens adoptent des réflexes de moins consommer », ajoute-t-il.

Cette extension s’accompagnera de la création d’un nouvel atelier bois, pour lequel la ressourcerie a obtenu un financement du budget écologique citoyen du Conseil départemental. Cet espace permettra de réparer du mobilier et d’organiser des ateliers participatifs.

Peu à peu, l’association s’adapte, se développe, se saisit des bonnes volontés et des opportunités, au service d’un projet qui semble un puits sans fond. Vu d’ici, la généralisation d’une économie du réemploi, de la sobriété et du durable ne semble pas tout à fait pour demain.