reportage à la ferme urbaine
Issu d’un article réalisé le 21 février 2023 par Marie-Pierre demarty de Tikographie .
https://www.tikographie.fr/2023/02/28/les-vertus-d-une-ferme-urbaine/
On y accède par une petite rue qui longe la voie ferrée et qui laisse entrevoir une vaste zone non construite se faufilant entre Clermont, Beaumont et Ceyrat. « Elle va jusqu’aux puys de Montaudoux et Montrognon », précisent Laurent et Lionel, pour expliquer la présence ici, en pleine ville, de chevreuils, renards ou blaireaux. En attestent les clichés pris sur place grâce à quelques pièges photographiques espionnant la vie nocturne.
Le terrain est pentu et bien moins riche, sur cette veine calcaire, que les sols volcaniques qu’on peut trouver à d’autres endroits de la région. Ce qui explique que la zone a longtemps été délaissée. « Une légende urbaine veut qu’il y ait eu ici du maraîchage, mais pas du tout. Il y a eu des fruitiers et de la vigne mais c’était à l’abandon au moins depuis les années 1950. Une véritable friche de buissons impénétrables, comme on voit encore, là au-dessus », poursuit Laurent. Plus récemment, les terrains de ce secteur avaient été préemptés pour un projet d’axe routier qui a finalement été abandonné.
C’est pourquoi, quand Laurent Rohr, en 2016, est venu trouver les collectivités locales avec son idée de ferme urbaine, on lui a confié ces terrains ingrats appartenant à la Métropole. D’abord une grosse parcelle, puis d’autres bouts plus récemment, dans le cadre du projet alimentaire territorial. Aujourd’hui, les « fermiers » disposent d’un hectare et demi.
S’approprier des espaces
La ferme du quartier de Vallières, aujourd’hui officiellement dénommée « Ferme Urbaine Landestini Clermont Auvergne », Laurent en a eu l’idée en observant les pratiques dans les pays de l’est et du nord de l’Europe, des pays qu’il connaît bien de par ses attaches en Allemagne et son parcours passé par le parlement européen.
« Il y a toujours quelque chose à faire ou à montrer et ça change sans arrêt selon les saisons et la météo. »
Lionel Desbordes
« Dans les pays de l’ex-bloc soviétique et notamment en Allemagne de l’Est, il y a des pratiques de s’approprier des espaces urbains pas prévus pour cela, partout où on peut, pour faire du jardinage. On s’aperçoit à l’usage que cela a des effets bénéfiques pour faire se rencontrer les gens, faire diminuer la violence ou le racisme. L’Allemagne a même légiféré pour les favoriser. J’ai eu envie de montrer que c’était possible : associer la convivialité d’un lieu où on échange autour des cultures ou autour d’un verre, et se familiariser à des méthodes de jardinage de type permaculture », résume celui qui a aujourd’hui le titre de directeur de la ferme urbaine.
A ses côtés, Lionel Desbordes est le responsable pédagogique de celle-ci et de sa « petite sœur » de Beaumont.
Mais pour ce qui est de décider de ce qui va être planté, semé, laissé en friche, clôturé pour accueillir des poules ou des moutons… Ils travaillent main dans la main, accueillant aussi des bénévoles, des copains, des gens du quartier, des groupes de scolaires, ou d’autres, comme les patients du service addictologie du CHU ou des familles accompagnées par le Secours populaire. Selon les envies et les capacités, les uns participent aux travaux du moment, ou viennent demander conseil pour leurs propres cultures. D’autres se contentent de découvrir le jardin et la façon dont fonctionne la nature. Ou simplement de s’assoir dans cet endroit paisible pour échapper à la vie urbaine.
« Il y a toujours quelque chose à faire ou à montrer et ça change sans arrêt selon les saisons et la météo. Je peux expliquer aux enfants plein de choses sur le jardinage ou sur la biodiversité : on découvre les plantes, les insectes, le cycle des saisons, la vie des sols… Je forme aussi les intervenants des activités périscolaires de la ville, afin qu’ils puissent réaliser dans les écoles des animations autour du jardinage », détaille Lionel.
Mandala, grenouilles et musique live
Que découvre-t-on dans ce singulier jardin ? En ce mois de février où la végétation semble croire que le printemps est arrivé, les plates-bandes s’alignent en terrasse d’un côté, en forme de mandala de l’autre. Certaines sont déjà semées, d’autres sont encore à l’état de buttes recouvertes de bois raméal fragmenté (BRF) où se digère un bel humus en vue d’accueillir les plants de tomates, d’aubergines, de poivrons… Des alignements de lavandes se préparent à embaumer l’été.
« Il a fallu cinq ans de travail pour obtenir une terre aussi fertile. »
Laurent Rohr
Quelques murets ont été érigés pour apporter de la chaleur aux plantes qui en ont besoin ; ailleurs des cassis retiennent la terre tout en se préparant à offrir un peu d’ombre à d’autres cultures. « Il a fallu cinq ans de travail pour obtenir une terre aussi fertile », explique Laurent, tandis que Lionel me montre, comme il l’a fait le matin-même à un groupe d’enfants, la différence frappante entre le calcaire originel de couleur beige et la terre vivante, patiemment amendée et nourrie, devenue presque noire.
Plus haut, on arrive à une petite tonne, ancienne construction typique des vignobles auvergnats. « C’était tellement broussailleux qu’on ne l’a découverte qu’en défrichant », se souvient Laurent. De là, si on se retourne, la vue panoramique embrasse un vaste paysage urbain.
A côté, l’enclos des poules est vide, à cause d’une fouine qui, plus agile que le renard, a trouvé le moyen d’y entrer. En attendant d’aménager un nouveau poulailler plus solidement clos à un autre endroit, celui-ci va servir à faire pousser des salades à l’abri de la gourmandise des chevreuils.
Plus loin, une petite scène en bois sur laquelle on peut s’installer aussi bien pour jouer de la musique que pour préparer un semis. Puis une mare créée artificiellement, mais que les jardiniers laissent vivre sa vie. « Nous avons créé quelques points d’eau, pas pour arroser mais pour apporter de la fraîcheur. » En cette fin février, avec un peu d’avance sur la saison, les grenouilles font leur apparition et voisinent avec les poissons rouges.
Voici une ruche, que les aléas climatiques ont vidée – « Mais on va remettre des abeilles : même si on a des pollinisateurs extérieurs, on voit nettement la différence au jardin quand elles sont présentes. »
« En gardant une mosaïque de paysages et de refuges, et avec le choix de n’utiliser aucun pesticide, nous avons ici une biodiversité incroyable. »
Lionel Desbordes
Expérimentations et biodiversité
Au-delà, on sort de la ferme d’origine pour s’avancer dans un dédale de petites parcelles qui s’additionnent mais ne se ressemblent pas. L’une a été débroussaillée mais les plus grands merisiers ont été conservés pour tenter une expérience d’agroforesterie. Deux autres sont laissées en friche pour favoriser la biodiversité. « On soupçonne les chevreuils de se cacher là-dedans pendant la journée », commente Laurent. Au-dessus encore, un enclos complètement vide, nettoyé par les moutons, attend ses premières cultures. On croisera aussi un bout de terrain réservé à l’ail et à l’oignon. Un autre où des semis de carottes sont déjà en cours.
« En gardant une mosaïque de paysages et de refuges, et avec le choix de n’utiliser aucun pesticide, nous avons ici une biodiversité incroyable, explique Lionel. Avec de plus en plus d’oiseaux, dont cinq espèces de mésanges, des chardonnerets… »
Dans l’enclos suivant, deux belles brebis pâturent. « Voici nos débroussailleuses », présente Laurent avant d’aller faire un câlin à ces deux affectueuses « retraitées » en provenance du Larzac.
A parcourir toutes ces parcelles en février, on devine l’ambiance aux beaux jours, lorsque les légumes ont poussé, que les gens viennent s’attabler le temps d’un thé, apprendre à tenir un potager ou faire leur marché de légumes garantis bio et hyper locaux. « Une quinzaine d’animations scolaires sont déjà réservées pour ce printemps et ça va se remplir », se réjouit Lionel.
Quant aux légumes produits, ils alimentent quelques marchés solidaires, une petite vente directe sur place, des restaurateurs locaux…
Le coup de cœur de Fanny
On comprend aussi que tout cela ne s’est pas fait en un jour. « Au début, j’étais seul. Même si des copains et quelques bénévoles venaient me donner des coups de main, c’était dur, raconte Laurent. Ensuite, la Métropole m’a donné des moyens pour faire quelques travaux, notamment des terrassements évitant de cultiver dans le sens de la pente. »
« Landestini a rendu le projet pérenne et aussi plus crédible. »
Laurent Rohr
Puis il y a eu la rencontre qui a permis l’accélération du projet : « En 2019, Fanny Agostini est venue faire un reportage, a eu un coup de cœur et m’a mis en relation avec Henri [Landes]. Ils n’étaient même pas encore installés dans la région mais un premier projet un peu fou a germé très vite ; Henri voulait faire venir des jeunes du Bronx ici et leur faire rencontrer les jeunes des quartiers nord de Clermont… pour parler jardin. Un truc totalement incroyable ! Malheureusement le covid a tout arrêté, mais ça a débouché sur la reprise de la ferme par Landestini. »
Cette reprise a agi comme un mélange de terreau, de compost et de BRF sur un sol calcaire. « La Métropole nous soutenait mais ce n’était pas une priorité. Elle continue d’ailleurs à apporter une subvention, poursuit-il. Mais aujourd’hui, nous sommes deux salariés, sans compter Théo et Amandine, deux anciens bénévoles, qui travaillent principalement l’un sur la ferme de Beaumont, l’autre sur les animations extérieures. Nous nous sentons écoutés et compris dans nos besoins. Landestini a rendu le projet pérenne et aussi plus crédible. »
Lire aussi : « Le retour à la terre d’Henri Landes et de Fanny Agostini » |
Le projet franchit actuellement une nouvelle marche. Grâce notamment au soutien du budget écologique citoyen du Conseil départemental et au développement des activités pédagogiques, l’ambition est de poursuivre la professionnalisation de la ferme : développement de la production sur les nouvelles parcelles, acquisition d’outils, aménagement d’un local pour faire de la transformation et valoriser davantage les productions maraîchères, ou pour stocker ce qu’auront collecté les groupes, par exemple pour réaliser des herbiers… L’idée est aussi de développer un petit marché plus régulier, avec d’autres commerçants. Et de participer à la résilience alimentaire de la ville.
« Nous voulons montrer ici que c’est possible de valoriser les friches pour produire des comestibles tout en favorisant la biodiversité au cœur de la métropole, concluent Laurent et Lionel. Et qui reste à la fois pédagogique et festif. »