Entretien de Marie-Pierre Demarty de Tikographie auprès de 3 projets de forêts nourricières

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Quelle mouche a piqué les Puydômois pour qu’ils se mettent, presque avec frénésie, à planter des arbres fruitiers ? Dans cette enquête en deux volets, j’essaie de comprendre le phénomène. Rien qu’en consultant la liste des lauréats 2022 du budget écologique citoyen du Conseil départemental, nous recensons une quinzaine de ces forêts-jardins, forêts nourricières et vergers conservatoires. Ajoutons-y une poignée de projets qui ont pris les devants lors du BEC 2020. Sans compter toutes les associations qui soignent déjà leurs pommiers depuis longtemps ou s’y mettent plus discrètement…

Pour commencer, je me suis rendue sur place. Sur les premiers chantiers de plantation qui s’annonçaient en cette fin d’hiver. De la grande Limagne au pied de la chaîne des Puys, en passant par la Toscane auvergnate, on a sorti les bêches et les pelles, mais aussi les bonnets et les bonnes chaussures…

1. Des fruits au pays des céréales

25 février à Persignat, hameau de la commune d’Aubiat entourée de champs à perte de vue. Le rendez-vous est à 14 heures, sur un terrain situé à la sortie du village, dans un chemin qui conduit vers le futur patchwork de blés, tournesols et maïs. Un terrain communal, où la municipalité a laissé carte blanche au collectif rassemblé par l’association Matercoop, déjà existante, pour aménager un espace arboré et convivial. Quelques grands arbres le délimitent mais le terrain est à disposition complète de l’imagination du groupe.

Emmanuel, l’animateur du projet, a déjà tracé les repères pour créer un labyrinthe de méditation, où il espère faire partager bientôt sa propre pratique. Ce petit dédale sera matérialisé par des plantations légumières et médicinales. Il sera ombragé par des arbres fruitiers. C’est justement l’objet du chantier du jour : planter douze arbres – pommiers, poiriers, pêchers d’essences anciennes et locales, sélectionnées aux prés-vergers du Moulin, une pépinière-conservatoire située à Bongheat.

Les participants, qui arrivent peu à peu, échafaudent déjà leur vision du lieu. « Un endroit de promenade et de convivialité », dit l’un. « On pourrait en faire le point de rendez-vous pour relancer la fête des voisins », rêve une autre. « On imagine installer des hamacs sur ces troncs d’arbres morts là-bas », s’amuse une troisième en me désignant deux « vestiges » au fond de la parcelle.

« Cet endroit est une première expérimentation. Nous avons recensé tous les terrains communaux qui se prêteraient à des plantations d’arbres, fruitiers ou non. »

Emmanuel Bouhier, président de l’association

Chacun commence à s’activer : à récupérer la terre retournée par les taupes, à construire des jardinières à partir de planchettes pour les petits végétaux, à remplir des arrosoirs dans le filet d’eau de la rase voisine, à creuser les douze trous avec une mini-pelleteuse…

Pendant ce temps, Emmanuel m’explique : « L’idée est née de quelques personnes. Cet endroit est une première expérimentation. Nous avons recensé tous les terrains communaux qui se prêteraient à des plantations d’arbres, fruitiers ou non, pour poursuivre par la suite. Aux premières réunions, il n’y avait pas grand monde, mais l’épicière du village a pris l’initiative de faire la publicité du projet auprès de ses clients, poursuit Emmanuel. De sorte qu’en janvier, nous étions une bonne vingtaine. »

Des participants qui témoignent de leur plaisir à se rencontrer. « J’ai trouvé l’idée tellement formidable que je viens aider depuis Artonne, une commune proche », précise l’une, parmi les toutes premières arrivées sur les lieux. Malgré le froid, la grisaille et la tentation de la sieste, ils ont endossé les anoraks et apporté leur enthousiasme. C’est une aventure qui commence tout juste…

2. Une histoire de copains

Lendemain matin, 9 h 30. Autre lieu, autre ambiance. Le grand soleil est de retour mais le thermomètre a chuté. Malgré les températures négatives, une dizaine de courageux sont déjà à pied d’œuvre sur le grand terrain de la Cartade, à quelques kilomètres de Billom.

La veille, quelques-uns ont suivi un stage d’ qui a conforté l’envie d’expérimenter ces formes émergentes de culture permettant de tirer le maximum de bénéfices du respect des mécanismes naturels. « Les plantations doivent être à terme beaucoup plus serrées et foisonnantes ; nous n’en sommes qu’au tout début », m’explique Marjolaine en me montrant l’organisation de cette longue parcelle en pleine campagne où les jeunes plantations, les piquetages, les étiquettes détaillées forment déjà un solide maillage.

S’y étagent un verger, la forêt-jardin proprement dite, d’autres cultures plus en hauteur. Le tout bordé par une haie fruitière en devenir, où alternent les grands arbres fruitiers et les arbustes à fruits rouges. Vers le haut du terrain, un système ingénieux de puits et de cuve de récupération d’eau alimentée par une pompe à énergie solaire. Une mare. Des plates-bandes encore paillées. Un compost… On devine que tout ceci est pensé et bien coordonné.

« Les plantations doivent être à terme beaucoup plus serrées et foisonnantes ; nous n’en sommes qu’au tout début. »

Marjolaine Werckmann, fondatrice et propriétaire du terrain

L’histoire est plus ancienne que le projet d’Aubiat-Persignat. L’Association du jardin-forêt de La Cartade a démarré en 2020, quand Marjolaine, propriétaire du terrain, a imaginé le mettre à disposition d’habitants disposés à expérimenter et à donner un coup de main. Au départ, c’est une histoire de cinq copains, vite dynamisée par une première subvention du Budget écologique citoyen du Conseil départemental.

« Nous avons commencé à travailler le terrain en octobre 2020 et les premières plantations datent du printemps suivant. D’abord la trame de haies, pour protéger du vent et créer les circulations », explique Marjolaine. L’association une fois créée, le terrain a été mis à disposition par bail emphytéotique.

Deux ans plus tard, le groupe de sympathisants compte 150 personnes, les adhérents mobilisables lors des grands chantiers sont une cinquantaine. Parmi eux, des jardiniers amateurs expérimentés, d’autres novices, des viticulteurs et des néo-ruraux. « Un doux mélange de profils », constate Loïc, l’un des fondateurs, qui précise : « Nous sommes treize à vraiment gérer l’asso. »

« Personne n’est au courant de tout ce qui se passe. Le principe était de faire en sorte que tout ne repose pas sur deux ou trois personnes qui auraient risqué de s’épuiser. »

Loïc Frénéa, cofondateur de l’association

Une des clefs de réussite : une organisation en groupes de travail autonomes, mais coordonnées entre eux. « Personne n’est au courant de tout ce qui se passe. Le principe était de faire en sorte que tout ne repose pas sur deux ou trois personnes qui auraient risqué de s’épuiser. Cela nous permet d’avancer facilement, d’accueillir de nouveaux arrivants et de ne pas nous essouffler. »

Autour d’un café bienvenu pour réchauffer les mains et l’entrain, le groupe examine le programme affiché sur un kakémono qui s’efforce de résister au vent. Marjolaine le détaille pour que chacun se positionne sur les chantiers de la matinée. Les plantations d’arbres sont remises à un week-end moins glacial. Pour le reste : motoculteur (Christophe), ails et oignons (Chloé et Marie), création de totems (Loïc)… Avant de se disperser pour aller se réchauffer outils en main, on se fixe rendez-vous : « Pause à 11 heures ». Parce que la convivialité, ça compte aussi…

3. Prendre et donner quelque chose

Autre samedi après-midi, encore frisquet et un peu brumeux. Cette fois, nous sommes à Saint-Genès-Champanelle. Quasiment en plein village, en contrebas des tennis, à côté de la mairie. Une poignée de volontaires s’est réunie pour une dernière session de plantation de fruitiers, après les trois qui ont déjà permis, depuis janvier, de peupler ce bout de pré de 1200m². Après les pommiers, poiriers, cerisiers, pruniers ou pêchers de variétés rustiques et locales, les plantations reprendront l’an prochain avec des essences plus rares, comme des asiminiers ou des ragouminiers, des plantes plus petites, buissons, plantes ornementales… Leur point commun : tous produisent des fruits comestibles.

L’objectif, là encore, est de créer un jardin-forêt comestible selon les principes de la permaculture, en une jungle serrée de végétaux qui s’entraident pour mieux se développer. « Le principe est de créer un réservoir d’aliments comestibles, qu’on ne stocke pas, mais que l’on vient cueillir au fur et à mesure des besoins », explique Nurten Caglar, présidente de l’association Le Jardin-Forêt du Brin de paille.

« J’ai suggéré l’idée de la forêt-jardin et à ma grande surprise, tout le monde a réagi très positivement et les élus ont été enthousiasmé. »

Nurten Caglar, présidente du Jardin-Forêt du Brin de paille

Une association récente aussi, dont l’idée a germé pendant la crise sanitaire. Nurten en raconte les débuts : « Dans le cadre du , la commune a proposé des réunions pour demander aux habitants ce qu’ils souhaitaient. J’ai suggéré l’idée de la forêt-jardin et à ma grande surprise, tout le monde a réagi très positivement et les élus ont été enthousiasmé. A la suite, l’association a été créée en février 2022. Nous étions assez nombreux, mais les débuts ont consisté surtout en démarches administratives : pour fonder l’association, rechercher des partenaires, s’informer sur les contraintes, assurances, etc., rédiger le dossier pour participer au budget écologique citoyen, puis lancer la communication… ça a été des réunions, des réunions et encore des réunions… Ensuite il y a eu la campagne pour le vote du BEC et l’incertitude. Tout ça a découragé beaucoup de monde. Ils restent dans l’association pour nous soutenir, mais ce sont plutôt de nouvelles personnes qui viennent participer aux chantiers. »

L’association compte ainsi une quinzaine de foyers adhérents et autant de sympathisants, mais seuls trois ou quatre constituent le noyau dur toujours actif. « Les autres avaient leur propre projet, professionnel ou amateur, autour de la permaculture, et ils ont fini par se recentrer sur celui-ci. »

« Notre terrain se trouve en altitude et peu protégé, ce n’est pas un projet facile et nous avons besoin de nous nourrir de ce qui se fait aux alentours… »

Karine et Cédric, bénévoles sur le chantier de plantation

C’est aussi le cas de Cédric et Karine, nouveaux participants en ce samedi, attirés d’une commune voisine car ils ont eux-mêmes un grand terrain qu’ils voudraient planter. « Nous sommes venus mettre la main à la pâte, échanger, apprendre, expliquent-ils. Notre terrain se trouve en altitude et peu protégé, ce n’est pas un projet facile et nous avons besoin de nous nourrir de ce qui se fait aux alentours… »

Un autre « nouveau », habitant d’un des nombreux villages de la commune de Saint-Genès, est venu « donner un coup de main », en voisin expérimenté qui soigne depuis longtemps ses propres vergers.

Vingt-neuf arbres et arbustes sont déchargés sur le terrain. Et malgré le petit nombre de présents, les ambitions restent intactes, tout comme la confiance de Nurten. Grâce, justement, à ce tissu de partenaires qu’a permis de construire cette longue phase préparatoire : des projets sont en cours avec les écoles primaire et maternelle voisines du terrain, avec le réseau des jardins partagés mis en place par le CPIE lui aussi proche, avec des professionnels de l’agronomie ou de la botanique… Également avec l’association clermontoise Terra Preta, pour apprendre des techniques low-tech, comme le détaille la présidente : « Nous souhaitons construire d’abord une cabane pour les outils, puis des appareils pour pouvoir cuisiner et manger ensemble sur place : marmite norvégienne, séchoir solaire… »

Et si, pour l’instant, le terrain est clôturé afin de protéger les jeunes plantations de la faune sauvage ou des chiens, il reste ouvert à tous. C’est d’ailleurs une des conditions posées par la municipalité, qui le met à disposition pour un loyer modeste, en demandant que l’espace reste public et que les manifestations organisées restent gratuites. « C’est de toute façon dans notre philosophie, poursuit Nurten. Nous souhaitons préserver trois types de relations : avec les habitants, avec les écoles et avec les professionnels. C’est un projet global où chacun peut venir dans l’esprit de prendre et de donner quelque chose. »