Des nouvelles du projet d’épicerie citoyenne Loub’épices financé par le BEC1
Un article rédigé par Marie-Pierre Demarty de Tikographie
Un petit magasin bien garni, avec des produits autant que possible locaux, bio et pas chers. En créant une épicerie gérée bénévolement, l’association Loub’épice a permis d’ajouter un peu de vie dans ce village-dortoir aux portes des Combrailles.
Le magasin est tout petit – 45 m² – pourtant il ne manque pas grand-chose de ce dont on a besoin au quotidien. Des légumes frais bien sûr, des laitages, de la charcuterie et tout ce qu’on peut imaginer de farines et pâtes, de boissons, de conserves… Les légumes et fruits secs sont au rayon vrac. A côté, on trouve les produits d’hygiène et produits d’entretien. Des bonbons, des œufs, des tisanes, des biscuits… Même des crozets de Savoie ! Et des choses qui dépannent bien : pain de mie, filtres à café, papier toilette. Un peu d’artisanat local aussi. Depuis peu, on peut même acheter le journal le dimanche.
Le nom des rayons est écrit artistiquement, en blanc sur des ardoises. Les étagères de bois, les cagettes, l’écriteau de bienvenue achèvent de créer une atmosphère accueillante malgré la fraîcheur. « On n’a qu’un chauffage d’appoint », explique Michèle en désignant le radiateur à bain d’huile, derrière la caisse.
En ce vendredi après-midi, c’est elle qui tient la boutique. Elle s’est arrangée pour ne pas avoir à garder ses petits-enfants, car en cette période de vacances, les volontaires sont moins nombreux. « Ça n’a pas été simple pour le planning, mais on y est arrivé », dit-elle, tout en précisant qu’en dehors de ces périodes délicates, le roulement ne pose pas de problème.
Un jour, à la télé…
L’épicerie est ouverte quatre demi-journées par semaine : le jeudi matin où les retraités aiment bien venir quand c’est calme – « C’est aussi le jour des livraisons » – le vendredi à partir de 15 heures, les samedis et dimanches matin. Des horaires savamment pensés pour garantir l’ouverture et arranger tout le monde, clients, fournisseurs et bénévoles.
Car c’est la principale originalité de Loub’épice : sous statut associatif, elle est entièrement gérée par une grosse vingtaine de bénévoles. C’est un de ces projets étonnants qui contribuent à remettre de l’animation dans les petits villages, avec des modèles qui s’inventent et se bricolent en fonction des dynamiques locales.
« Je suis allée voir le maire de l’époque et il a été hyper emballé. »
Claire, fondatrice de Loub’épice
L’épicerie de Loubeyrat est ouverte depuis avril 2021, soit vingt-cinq ans après la fermeture de la précédente, dans cette commune située entre Châtelguyon et Manzat. 1 400 habitants, mais avec un village-centre assez petit, groupé autour de son insolite église néo-gothique. « Parce que nous avons beaucoup de hameaux », m’explique Claire, qui précise : « Loubeyrat est une commune-dortoir dont beaucoup d’habitants travaillent dans la plaine, à Riom ou à Clermont. »
Architecte de métier, habitante de Loubeyrat depuis quatre ans, c’est Claire qui a lancé l’idée. « J’ai une petite aversion pour les grandes surfaces et je suis attachée aux produits locaux, mais ici, ce n’est pas si facile d’en trouver, à part sur les marchés. Un jour à la télé, j’ai vu un reportage sur une épicerie associative et ça m’a paru une bonne idée. Je ne connaissais encore pas grand monde au village. Je suis allée voir le maire de l’époque et il a été hyper emballé. »
Confinement et financement
L’idée prend forme d’abord lentement. Une première réunion en novembre 2019 réunit une quarantaine de personnes, mais le projet n’est pas très bien compris. « Je suis allée à cette réunion en pensant qu’il s’agissait d’une épicerie solidaire. On nous a donné beaucoup d’informations, ça a mis du temps à devenir clair », témoigne Michèle.
Malgré tout, un petit collectif se forme. D’autres réunions s’enchaînent. Le maire promet de mettre gracieusement à disposition une ancienne boutique appartenant à la commune.
Deux événements l’année suivante allaient se révéler décisifs pour faire décoller la dynamique. Le premier, nous l’avons tous en tête : ici comme ailleurs, le covid et surtout le premier confinement ont réveillé les solidarités locales, que ce soit pour s’approvisionner ou pour aider les producteurs alentour. Le collectif organise une distribution de paniers, qui a d’ailleurs perduré bien au-delà de l’épisode du printemps 2020.
Le deuxième événement était l’opportunité du budget écologique citoyen, dont le Conseil départemental lançait justement la première édition. La toute nouvelle association y a trouvé de quoi investir dans le matériel de caisse, les armoires réfrigérées, l’aménagement du local.
Vers la fin de l’année, les bénévoles se mettaient à l’ouvrage. L’épicerie a ouvert en avril 2021. « Une équipe de TF1 nous a suivis pendant cinq mois pour leur magazine Grands Reportages », s’amuse Claire.
Priorité au local
La dynamique était lancée. Avec des motivations multiples, qui s’additionnent et soutiennent l’équipe : « L’idée est d’apporter un service aux habitants, mais aussi aux producteurs locaux qui n’ont pas à se soucier de la commercialisation de ce qu’ils nous fournissent. C’est aussi de proposer des produits sains, à des prix que nous souhaitons abordables à tous », détaille Claire.
« La caissière n’est pas là par contrainte mais par plaisir. »
Michèle, bénévole
Elle souligne aussi le lien entre habitants, la convivialité, l’intergénérationnel : « Souvent les activités associatives sont très sectorisées : parents d’élèves d’un côté, retraités d’un autre, jeunes pour le sport, etc. Ici, c’est ouvert à toutes les bonnes volontés et on peut rencontrer des personnes qu’on n’aurait pas l’occasion de côtoyer ailleurs. » Michèle le confirme : « Même les enfants aiment bien venir ; sous notre contrôle, ils tiennent la caisse quelques instants. Ils aiment bien ‘jouer à la marchande’… et nous aussi ! »
Jean-Paul, un autre membre de l’association entré entretemps pour faire ses courses, ajoute qu’ici, « on vient aussi pour discuter et tout le monde a le sourire ». Pour les clients, c’est un plus : ici, comme dit Michèle, la caissière « n’est pas là par contrainte mais par plaisir » ; l’accueil s’en ressent.
La philosophie associative se traduit aussi sur les étagères : des produits autant que possible locaux où l’on repère trois fournisseurs de la commune même – un maraîcher, une apicultrice, un producteur de bois ; d’autres viennent des communes environnantes. « Nous avons établi une charte, qui stipule notamment que les produits locaux sont prioritaires ; pour le reste, c’est à 95% bio », explique Claire. Ce qui n’empêche pas d’avoir quelques produits dérogeant à la règle, provenant surtout de la boîte à idées où les clients suggèrent ce qui peut leur rendre service.
Gagner la confiance
Le bénévolat permet également d’intéresser les habitants grâce aux prix très doux pour des produits de qualité. « Nous prenons 15% de marge pour les frais généraux comme le loyer, l’électricité, l’assurance, etc. Si nous devions avoir un salarié, on ne tiendrait pas », reconnaît Claire.
Faute de salariés, le collectif s’est organisé en groupes de travail : ils gèrent respectivement l’administratif, la communication, le magasin et la relation aux fournisseurs. Bien entendu, personne, au départ, ne connaissait le métier d’épicier et tous ont développé des compétences. « La tenue du magasin ou la gestion des fournisseurs n’était pas le plus compliqué, souligne Claire. Le plus difficile a été la comptabilité et les règles d’hygiène. Et par rapport aux fournisseurs, au départ ça a surtout été de gagner leur confiance. »
« Avec la boulangerie et maintenant le coiffeur, cela fait plus de raisons de venir. »
Jean-Paul, bénévole
Côté clientèle, même progressivité : « Au début on a eu plus de gens qui venaient de Charbonnières, mais ensuite les habitants du village ont pris leurs habitudes. Nous constatons aussi que les paniers sont de plus en plus importants. Ça veut dire que les gens sont venus d’abord pour du dépannage. Aujourd’hui, ils viennent faire leurs courses. »
Finalement, l’épicerie semble contribuer à remettre de la vie dans le village. « Avec la boulangerie et maintenant le coiffeur, cela fait plus de raisons de venir des hameaux ; on peut venir pour un peu plus qu’une seule course », constate Jean-Paul.
En moyenne, l’épicerie encaisse aujourd’hui 60 à 80 paniers par semaine.
Une marche à franchir
Le projet, pour autant, n’est pas complètement stabilisé. Claire ne craint pas l’usure du groupe, toujours aussi motivé et soudé. Mais d’autres problématiques sont en jeu, à commencer par celle des locaux.
Le magasin a déjà dû déménager en novembre, pour des raisons sur lesquelles les bénévoles passent vite. Mais on devine une mésentente avec la nouvelle municipalité, qui semble considérer Loub’épice comme un commerce ordinaire.
La boutique a trouvé un refuge provisoire dans le local de l’ancienne boulangerie et peut a priori y rester jusqu’à l’été.
Une piste intéressante pour un nouvel emplacement se dessine, mais les membres de l’association se disent partagés sur les perspectives. Dans un sens, cet endroit un peu plus spacieux et plus visible, en bordure de la route principale, est une belle opportunité. Il permettrait notamment de développer un coin pour prendre le thé et une ludothèque – « La dimension conviviale est importante depuis le début » –, d’avoir un petit étalage en extérieur et surtout, il est doté d’un espace de stockage qui fait réellement défaut pour l’instant. « Mais c’est une marche à franchir et nous craignons de ne pas pouvoir assumer ce développement, explique Claire. Car cela supposera des frais plus importants, donc la nécessité de vendre davantage et de fait, d’assurer davantage de bénévolat. »
« Avec ce nouveau déménagement, on verra ce qu’il se passe. Soit on y arrive, soit on arrête tout… »
Claire, fondatrice
Et même si quelques personnes ont rejoint l’équipe, le recrutement ne s’avère pas si simple. « Les gens ont peur de s’engager car ils ont l’impression qu’ils vont devoir donner beaucoup de temps, ou pensent qu’il faut des compétences. Pourtant, nous y prenons surtout du plaisir », insiste Michèle, avant de retourner tenir la caisse tout en bavardant avec les clients qui s’attardent volontiers, qu’ils soient des familiers ou qu’ils pénètrent pour la première fois dans le magasin.
Elle laisse Claire conclure : « Effectivement, nous avons réellement besoin de renforcer l’équipe, même pour des petites tâches qui ne sont pas visibles mais qui sont très utiles. Globalement ça fonctionne ; nos comptes sont à l’équilibre. On ne va pas devenir un supermarché, mais nous avons besoin de pérenniser le projet. Avec ce nouveau déménagement, on verra ce qu’il se passe. Soit on y arrive, soit on arrête tout… »